Le Sénat français a adopté dans la nuit du jeudi au vendredi 15 juin 2018, en première lecture, la proposition de loi portant Pacte national de revitalisation des centres-villes et centres-bourgs.
Cette proposition s’appuie sur une série de mesures qui visent à repeupler les centres, à réduire les coûts d’installation et d’activité en centre-ville ou encore à faciliter la transition numérique des commerces de détail.
Complémentaire aux dispositions de la loi ELAN (Evolution du logement, de l’aménagement et du numérique), son périmètre s’étend au-delà de celui du plan « Action cœur de ville » qui ne couvre que 222 villes moyennes (pôles d’attractivité). Il intégrerait quelque 600 à 700 communes qui seraient en grande difficulté.
Un fonds pour aider les commerçants de centre-ville à tirer profit de la transition numérique
La rénovation du FISAC en Fonds pour la Revitalisation par l’Animation et le Numérique des Centres (article 8 de la proposition de loi) aura pour objectif premier la prise en charge partielle des dépenses de fonctionnement relatives à la rémunération des managers de centre-ville ou aux formations des commerçants sur leur transition numérique.
Un autofinancement à travers des mesures fiscales
Afin de réduire l’attractivité des périphéries et pour dégager les ressources nécessaires à l’engagement de travaux, une contribution pour la lutte contre l’artificialisation des terres serait instituée (Article 26).
Cette contribution viendrait nourrir le Fonds pour la Revitalisation par l’Animation et le Numérique des Centres ainsi que le fonds de garantie pour les loyers commerciaux impayés.
Elle serait financée par une taxe appliquée aux grandes surfaces commerciales, aux locaux de stockage e-commerce (en fonction du CA résultant de la vente des biens entreposés) et aux surfaces de stationnement.
Plusieurs typologies de locaux seraient toutefois exonérées de la contribution, notamment les commerces et lieux de stockage de moins de 1000 m2, les magasins de producteurs organisés dans le cadre de circuits courts, les entreprises artisanales, des entreprises commerciales dont le CA est inférieur à certains seuils…
Avec pour objectif d’inciter « les e-commerçants à se rapprocher de leurs clients » et « d’encourager les distributeurs à implanter davantage de drives piétons », il s’appliquerait une taxe sur les livraisons relatives aux produits achetés en ligne (Article 27).
Cette taxe serait acquittée par le commerçant sur le site internet duquel le bien a été commandé. Elle serait déterminée en fonction du prix du produit commandé et du nombre de km entre le dernier lieu de stockage et l’adresse de livraison finale (sauf si le produit vient de l’étranger).
Le taux de la taxe est fixé de la sorte : 1 % du prix du produit lorsque la distance entre son dernier lieu de stockage et l’adresse de livraison finale est inférieure à 50 km, 1,5 % lorsque cette distance est comprise entre 50 km et 80 km, 2 % lorsque cette distance est supérieure à 80 km, avec un minimum forfaitaire de 1 € par livraison.
Des exonérations sont possibles pour :
- les livraisons effectuées par des véhicules « non consommateurs d’énergie fossile » ;
- les livraisons des entreprises commerciales ou artisanales dont le CA annuel ne dépasse pas 50 millions d’€,
- etc.
Accompagner la modernisation des commerçants et artisans
Enquête menée par la CCI Paris Ile-de-France auprès de 2 000 commerçants de proximitéSont présents en ligne42%
Selon une enquête menée par la CCI Paris Ile-de-France auprès de 2 000 commerçants de proximité, seuls 42% des commerces indépendants interrogés sont présents online (contre 72% pours les commerces en réseau). Pour 68 % de ces commerçants disposant d’une présence en ligne, cela se traduit uniquement par la mise en avant de leurs produits/services sur un site vitrine.
Un autre chiffre illustre bien le fossé qui existe entre les attentes du shopper hyper-connecté et la perception des commerçants, en effet, seuls 28% des commerçants voient la présence sur le web comme une opportunité de vendre leurs produits. Or en 2017, plus de 8 internautes sur 10 ont acheté en ligne et 87% du CA e-commerce est réalisé par 5% des sites marchands selon la FEVAD.
Pour favoriser la transition numérique des commerces des villes en difficulté, cette proposition de loi intégrerait l’octroi de crédits d’impôt :
- pour les heures de formation au commerce numérique, à l’animation commerciale et à l’accueil, des commerçants de détail et des artisans (limité à 40h)
- et pour 50 % des dépenses engagées dans l’équipement numérique destinées au développement en e-commerce (crédit d’impôt plafonné à 5 000€).
Un élément de réponse aux nouvelles attentes du shopper
Même si cela s’avère être le socle dans la réussite d’un projet de transition numérique, être présent en ligne semble ne pas être suffisant. Le shopper a évolué, il demande que l’on réponde à ses exigences, à ce qu’une attention particulière lui soit portée en tant que personne et non client lambda.
Il se renseigne sur Internet… consulte l’adresse d’un point de vente sur son mobile… se rend en point de vente pour être conseillé… souhaite qu’on lui accorde un accueil particulier… achète un produit où il veut quand il veut… récupère son achat en relais Pickup, ou en boutique grâce au Click & Collect… est livré sous 2h…
Une proposition de loi vécue à la fois comme source d’inquiétudes et comme message d’espoir
« Préservons la diversité et la vitalité du tissu économique local que seule la proximité garantit.»
Il s’agit là d’un extrait d’un texte signé par les présidents de fédération de confédération de commerces de proximité (CNBPF – FSPF – CFBCT). Ces représentants considéreraient cette proposition de loi comme un tournant majeur dans le rééquilibrage du « rapport de force devenu pénalisant pour les centres-villes et centres-bourgs et favorable à la grande distribution. »
Des inquiétudes se font également sentir. Outre le fait que les ténors du web soient très exposés aux mesures de cette proposition de loi (Amazon, Cdiscount, Vente-Privée…) ainsi que les géants de la grande distribution, certains craignent également de voir des répercutions tarifaires directement sur le prix des produits. L’acheteur final pourrait donc en pâtir.
Les enseignes et petits commerçants en ordre de bataille pour le chantier de la proximité
L’évolution des habitudes de consommation a déjà bousculé le monde du commerce et de l’e-commerce. Proposer une expérience d’achat et tirer parti du digital pour repositionner l’humain au cœur des interactions sont devenus des leviers incontournables.
Prenons l’exemple d’un meunier qui met à disposition de boulangers une plateforme en ligne permettant de réserver et de retirer son pain directement en boulangerie, un concept générateur de valeur et de trafic en boulangerie.
Citons cette enseigne d’horlogerie qui a fait le choix de s’appuyer sur son maillage de points de vente physique pour unifier ses stocks (innovation Ship-from-Store) et ainsi diminuer ses délais de livraison, réduire l’impact environnemental de la livraison et satisfaire aux attentes de ses clients, et de ses magasins – une innovation au service de la proximité.
Jouer la proximité est devenu d’une telle importance que même les géants du web se sont mis à créer des boutiques ou à nouer des partenariats pour se rapprocher de leurs clients et améliorer l’expérience shopper.
Cette proposition de loi risque de faire couler encore beaucoup d’encre, d’ici à ce qu’elle soit adoptée par l’Assemblée Nationale pour entrer en vigueur (si elle l’est), voire après. Au-delà de problématiques purement nationales, ces interrogations sur l’urbanisme commercial et la protection des centres-villes tendent de plus en plus à prendre une dimension paneuropéenne.